Ils sont blues, souvent rock, parfois poétiques. Mais ils sont avant tout d’aujourd’hui, et d’ici. Enfin d’ici et de là-bas, de là où on chante. Ils abordent le monde qui nous entoure, les choses qui nous touchent ; ils passent à la bétonnière du Blues les basiques notre vie sociale et intérieure.
Un exemple : pour Barouf, l’homme qui va voir une femme mariée la nuit est un Passe-Muraille. Le voici :
Quand tout un chacun essaie de dormir J'suis là j'arpente, je rôde à minuit. J'm'apprête à sévir. Au p'tit matin, les chiens aboient Fini l'Amour Les oiseaux chantent en retour "Casse-toi mon gars". C'est moi, le Passe-Muraille, C'est moi, le Passe-Muraille. Quand les maris baillent Leurs jolies femmes m'ouvrent leurs bras.
Celui qui passe de l’état d’enfant à celui d’adulte, qui trouve sa voie, capable de recracher sa propre synthèse de tout ce qu’il a emmagasiné au cours de ses jeunes années est un Caïman.
Des écailles cendres noires Des lunettes en diamant Des yeux d’argent pour voir Le crépuscule ardent Une queue pour battre le temps Une gueule pour hurler son chant Son oeuf est tout craquelant Il va sortir, gluant, Et c'est maintenant... l'avènement... du Caïman!
Par contre, celui qui se sent différent, en marge, et dont personne ne veut, est une Hyène !
J’déborde du cadre comme un fleuve en crue J’me rue vers l’Ouest quand l’ordre est au Sud J’déserte la case où mes congénères S’amassent et se prélassent, Moi j’déborde, j’suis pas conforme Je pue la horde de hyènes sauvages J’défonce le cadre de ma cage J’défonce le cadre de ma cage
Ça, c’est qui on est. Et puis il y a ce qu’on fait. Une personne folle de désir pour une autre n’ira pas, chez Barouf, par quatre chemins. Elle lui demandera : Surtout, fais de moi ton chien.
Demande-moi de perdre mes yeux Promets-moi de corser le jeu Je suis prêt à sentir ta main A troquer ton corps contre le mien. Surtout, surtout, surtout, fais de moi ton chien. Surtout, surtout, surtout, fais de moi ton chien.
Par contre, l’homme de Barouf est moderne. Fou de désir pour une femme, il cherchera jusqu’à l’obsession à satisfaire son désir à elle, changeant ainsi de cap par rapport aux vieux Bluesmen qui voulaient avant tout satisfaire leur désir à eux. Il suppliera : Je te satisferai
Compte pas sur moi pour aller voir ta mère J's'rai pas là pour sauver tes galères Tu m'auras pas comme colocataire Mais c'est moi qui t'enverrai en l'air ! T'as qu'à voir comme les gouttes Perlent sur mon front T'as qu'à voir comme ton regard Me met le frisson T'as qu'à voir comme j'demande qu'à passer à l'action Pour m'laisser déclencher ta... Satisfaction !
Cette radicalité, il n’y a pas que le fou de désir qui l’investit. Pour Barouf, l’amoureux fou est tout aussi extrême. Il voit sa Belle capable, tant elle brille, de rendre Sa jambe à l’infirme :
J’peux t’jurer qu'elle est sublime Alors médite bien cette maxime J’peux t’jurer qu'elle est sublime Alors médite bien cette maxime Quand elle vient, tout tombe au fond d' l’abîme ; Elle redonne sa jambe à l'infirme
Dans le monde de Barouf, tous les états d’âmes s’aggravent et se décuplent, s’exagèrent. C’est le Blues qui s’empare des sentiments. Quand on quitte celle qu’on aimait, on a des Errances à l’esprit. Si celle qu’on aime part et ne nous revient pas, on se dit sans hésiter
Ma Folle à moi... Tu me pousses à bout J't'ai cherchée partout, la nuit le jour Ma folle à moi, à me rendre fou. Ma folle à moi, tu me pousses à bout.
Si elle déprime sans dormir à nos côtés dans le lit, on lui dit en silence :
Tu m'fais souci comme tu t'enfuis Ton regard pris à sa rêverie... Tu m'envahis de nostalgie Et je m'dis qu'c'est moi qui t'fais souci
Et alors, on piétine, immobile, dans sa petite vie, on se dit sans détour :
Je partirai vers des pays Où passent des trains inouïs Conduits par des cochers exquis Au ventre doux et rebondis Où les passagers sont assis Sur des baleines étourdies Et où les passagères se grisent Avec du nectar de cerise.
Et c’est ainsi qu’il en va dans tous les domaines. Malade, l’homme de Barouf envisage une bataille rangée avec flics et soldats ; il gueule : “Sus aux Virus !”. Délaissé par son meilleur ami, il lui dit en tout simplicité : “Tu m’as Déchu“. Au fond du trou, il se rebelle et se met la tête à l’envers : “C’matin j’ai la gueule cramée, et j’vais squatter les latrines, mais j’regrette pas d’m’être allumé… J’ai mis ma Déprime en sourdine !” Et tutti quanti…